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Jean-Claude Izzo : Total Kheops Jean-Claude Izzo est décédé au début de l’année 2000, emportant avec lui toute une féerie sombre affiliée à Marseille. Izzo est étouffé par ses immeubles « cages à lapins », embué par une pollution automobile ignominieuse, endormi par une chaleur asphyxiante, grisé par le Pastis et repu par les délices de la gastronomie.
Tout à la fois poète de l’urbain, au même titre qu’un Pier Paolo Pasolini, et prophète d’une Marseille qu’il veut voir à nouveau triompher, il écrit d’une plume leste ses sentiments nés de cette impression de décadence. Il parle de cette poésie magistrale qui pâlit devant les mines hâlées des malfrats, traîne le long des sentiers, jouit d’une Canebière attristée, copie de celle qu’elle était avant, et se laisse aller aux turpitudes de la vengeance. Marseille est un frein usé à la nostalgie. Enfance heureuse, passée à rêvasser, à penser au futur, à écouter des récits de pirates et d’aventuriers qui laissent songeur, présent désespéré, seul, à voyager avec la mort et les souvenirs jaunis. Le récit de Fabio Montale. Simple flic, désabusé, noyé en plein marasme. Un homme attaché à son pays, Marseille, et qui suit la même route descendante.
Partout émergent des groupuscules racistes, mafieux, des actes de folie barbare. C’est Marseille. Tout y est comme ailleurs mais en plus excessif, en pire ou en mieux. Le goût des extrêmes, parfois indélicat. Fabio a perdu Manu, un ami d’enfance tombé dans la criminalité et Ugo, l’autre ami d’enfance, est mort après avoir crû venger Manu. Leïla, la belle arabe, que Fabio admire et aime en silence et par décence. Leïla, sœur de Driss et Kader, deux jeunes qui s’en sortent à peu près, qui affrontent les coups durs en frappant plus fort. Les drames se suivent et trahissent la précarité de Marseille, la folie qui investit son melting-pot. Et il y a aussi Lole qui erre encore, gitane fantomatique, gracieuse, la plus belle d’entre toutes les femmes.
Marseille décortiquée dans ses moindres détails, mœurs terribles mises à nu, son cœur et son âme sont ajourés. Voit qui peut. Roman du désastre, du « grand bordel », Marseille, un endroit utopique aux veines bouchées, aux égouts ouverts sur le réel, aux races qui ne veulent plus se mêler. Marseille, peinture mélancolique d’Izzo, dont on sent les relents de l’amour qu’il lui a consacré. Izzo, parti en fumée, Marseille, orpheline. Un des meilleurs romans policiers français, un des plus intenses. A tel point qu’on a envie de venir soutenir Izzo, de le relever, de lui dire qu’il n’est pas trop tard, que Marseille, que la France, ce n’est pas encore foutu. Réquisitoire contre « l’infiniment petit de la saloperie du monde ».

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« Avec Manu et Ugo, on était des habitués de la Canebière. Comme tous les jeunes, on venait là pour se faire voir. » Voici, en marge des critiques, quelques articles sur cet auteur tout autant passionnant que passionné, passionné par sa ville, par ses héros, et par une certaine beauté de la France traduite par une diversité d’êtres et de cultures qu’Izzo ne cessera de chanter avec amertume et tristesse.